Forum des images : Vous avez une méthode de travail
particulière, votre histoire se développe au fur et à mesure ?
Hayao Miyazaki : C'est vrai en fait, l'idéal serait d'avoir terminé
avant de commencer le travail mais le story board avance. Je ne vous conseille
pas cette méthode.
FDI : Avec cette méthode de travail, la définition et la
création des personnages est-elle difficile ou compliquée ?
H.M : Ce qui m'inquiète le plus, ce n'est pas l'empathie des personnages
mais la durée du film. Le film va-t-il durer trois ou quatre heures? Je
ne veux pas que le travail de mon équipe soit annulé car je le respecte
beaucoup.
FDI : Lorsqu'un personnage est créé, vous le gardez jusqu'au
bout ?
H.M : Les personnages naissent dans ma tête, je les écris. C'est
à partir du moment où ils commencent à vivre, toujours dans ma tête, que
je les dessine, je les jette, je les force à vivre avec beaucoup d'émotions.
FDI :Comment expliquez-vous que la projection personnelle
que vous faites dans vos films soit une jeune fille ?
H.M : Je pourrais vous répondre de manière très longue et très
complexe mais je préfère vous répondre que j'aime les femmes.
FDI : On retrouve un environnement fantastique plus ou moins
développé selon les films (Le Voyage de Chihiro, Mon Voisin Totoro, Princesse
Mononoke) ou offrant une grande documentation. Quel est le déclencheur
d'une direction esthétique plutôt qu'une autre ?
H.M : J'ai un stock considérable de matériel et le choix correspond
au moment où je vais faire le film. Je voyage avec beaucoup de cadres
dans ma tête, celui de Totoro existe depuis treize ans, pareil pour Chihiro.
Les mondes que je dessine sont déjà dans ma tête depuis plusieurs années.
FDI : La nostalgie dans vos films est un sentiment très
développé. On la retrouve dans Porco Rosso, Mon voisin Totoro, celui-ci
également…
H.M : Oui, je pense que la nostalgie a plusieurs apparences, ce
n'est pas l'apanage des anciens, les enfants en ont également. C'est un
sentiment très partagé par les humains.
FDI : Contrairement à la vision d'un futur très sombre que
l'on trouve dans beaucoup de films d'animation, vos films sont optimistes
?
H.M : Je suis pessimiste, cependant quand je fais un film pour
les enfants, je ne veux pas leur imposer cette vision. Les adultes ne
doivent pas forcer les enfants à voir ce monde.
FDI : Vos films sont uniquement pour les enfants ?
H.M : Pas Porco Rosso, tous les autres étaient principalement destinés
aux enfants en effet.
FDI : Pourtant beaucoup d'adultes viennent sans leurs enfants...
H.M : C'est quelque chose qui me fait très plaisir bien sûr. Simplement
un film qui est fait de toutes nos forces pour les enfants peut aussi
plaire aux adultes, l'inverse n'étant pas vrai. Dans les films pour enfants,
il y a toujours la possibilité de recommencer.
FDI : Nous avons la sensation d'une incroyable liberté d'auteur
: des rebondissements, des changements de ton au mépris parfois de toute
logique…
H.M : La logique concerne la partie superficielle du cerveau. C'est
impossible de faire un film en tenant compte de la logique. C'est lorsque
je m'en suis aperçu que les portes de l'inconscient se sont ouvertes.
C'est au moment où le simple outil de logique est dépassé que l'histoire
commence vraiment. Mais c'est très dangereux car des images très lointaines
de la vie sociale en sortent. Ce que j'utilise est en dehors de la conscience.
Je laisse libre champ aux idées qui me viennent sans logique. Quand
Chihiro veut prendre le train toute seule, c'est le sommet du film, la
fin. Ce moment ne s'explique pas facilement. Tout le monde se souvient
de cette première fois, ce sentiment d'angoisse et de solitude. Si il
y avait eu des décors, il n'aurait pas été aussi fort. Je suis certain
que personne ne se souvient du paysage. J'avais préparé ce moment sans
le savoir car dans la précédente scène il avait plu et donc on ne voyait
plus le paysage. Cela est un travail inconscient. Et c'est en travaillant
de cette manière que j'ai reconnu la force de l'inconscient par rapport
à la logique.
FDI : Vous perpétuez la tradition des conteurs d'histoire,
pourquoi est-ce aussi nécéssaire ?
H.M : Je n'ai pas l'impression d'être un conteur mais un dessinateur.
Cependant je crois à la force des contes. Ils ont un rôle fondamental
dans l'existence. Beaucoup de personnes sont encore motivées grâce à cela.
FDI : Votre film Le voyage de Chihiro a été caractérisé
par le terme de " Fantasy "…
H.M : Je vois que l'imaginaire est très important mais que ce terme
est un peu galvaudé. La réalité de l'imagination doit être présente. Il
faut faire attention à ce terme car il s'applique aux jeux télévisés et
aux jeux vidéo. Le monde de l'imaginaire doit apporter quelque chose et
ne pas basculer dans l'ère de la réalité virtuelle. C'est un dilemme contre
lequel je me bats.
FDI : Comment gérez-vous les moments-clés de vos films ?
H.M : En raison de ma méthode de travail, chaque scène devient
une scène centrale. Je les considère toutes importantes. Je résouds les
problèmes les uns après les autres. Dans le film, deux scènes sont symboliques.
La première est lorsque Chihiro est recroquevillée dans la voiture et
l'autre lorsqu'elle est libre et indépendante. Ce n'est pas moi qui fabrique
le film, il se fait lui-même.
Journaliste : Chihiro est une héroïne un peu différente,
peu motivée et paresseuse, pourquoi ?
H.M : Je n'ai pas choisi. Il y a beaucoup de petites filles comme
ça qui sont blasées. Quand j'ai dessiné le story board et que les parents
appellent, la fille ne répond toujours pas au bout de la deuxième fois,
l'équipe m'a dit que c'était mieux trois fois. J'ai fait Le Voyage de
Chihiro car il n'existait pas de film pour les petites filles de dix ans.
Elle devait être ordinaire. A chaque fois que je la dessinais, je me posais
la question de savoir si mes petites nièces pouvait faire cela. En voyant
leur joie j'ai su que je n'avais pas trahi leur attente.
Journaliste : Comme pour Porco Rosso il y a un cochon.
Pourquoi ?
H.M : C'est plus facile à dessiner que des chameaux ou des girafes
ou un ours blanc. En fait, cela correspond à ce que je voulais dire, les
humains se comportent comme eux. J'aime bien les cochons pour leurs qualités
et leurs défauts. Finalement nous sommes assez proches.
Journaliste : Que pouvez-vous nous dire sur la séquence
du dieu putride, cette créature est-elle inspirée de la mythologie japonaise?
H.M : Elle n'est pas inspirée de la mythologie mais bien de ma
propre expérience. Il y a une rivière à côté de chez moi où l'eau semble
propre mais au fond on trouve un tas de choses et elle dégage une odeur
vraiment immonde.
Journaliste : Pouvez-vous nous parler de vos projets ?
H.M : Il est prévu au studio Ghibli l'ouverture d'une petite salle
où je veux présenter des courts-métrages pour ce petit musée.
Journaliste : Pensez-vous que la nostalgie est un sentiment
partagé par tout le monde ?
H.M : Le fait de vivre amène à perdre quelque chose, c'est donc
un sentiment naturel.
Journaliste : L'impact de vos films change-t-il votre manière
de travailler ?
H.M : Non, le cinéma est incertain et nous ne savons jamais si
le film plaira ou non. Pour moi, le succès ou l 'échec n'a pas d'importance.
Journaliste : Connaissez-vous certains réalisateurs de
films d'animation européens ?
H.M : Nous avons été introduits au cinéma d'animation grâce à Paul
Grimault et son film La bergère et le ramoneur. A part cela j'ai vu beaucoup
de films mais je ne me souviens pas des noms des réalisateurs. La Reine
des Neiges a eu une influence décisive mais je ne me souviens pas non
plus du nom du réalisateur.
Questions à Mr Suzuki et Mr Miyazaki : Quels sont les prochains
projets du studio Ghibli ?
Mr Suzuki : Un jeune réalisateur est en train de terminer un film
qui sortira l'été prochain.
Mr Miyazaki : Superviser ce film est une épreuve très très dure.
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