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  Interview : Hayao Miyazaki (1/2)

A l'occasion de la sortie ciné du "Voyage de Chihiro", que l'on peut d'ores et déjà considérer comme l'une des meilleures et des plus populaires productions du studio Ghibli, Dvdanime.net vous propose une première interview du maître Hayao Miyasaki. Elle a été réalisée lors du Festival des Nouvelles images du Japon (dec.2001) et plus précisément après la projection de presse, avant-première française. Après avoir reçu les médailles Vermillon de la Ville de Paris puis des Arts et des Lettres, le réalisateur a bien voulu répondre aux questions posées par le directeur du Forum des images puis à celles des journalistes :


crédit photo : L.Girard

crédit photo : L.Girard
Forum des images : Vous avez une méthode de travail particulière, votre histoire se développe au fur et à mesure ?
Hayao Miyazaki : C'est vrai en fait, l'idéal serait d'avoir terminé avant de commencer le travail mais le story board avance. Je ne vous conseille pas cette méthode.

FDI : Avec cette méthode de travail, la définition et la création des personnages est-elle difficile ou compliquée ?
H.M : Ce qui m'inquiète le plus, ce n'est pas l'empathie des personnages mais la durée du film. Le film va-t-il durer trois ou quatre heures? Je ne veux pas que le travail de mon équipe soit annulé car je le respecte beaucoup.

FDI : Lorsqu'un personnage est créé, vous le gardez jusqu'au bout ?
H.M : Les personnages naissent dans ma tête, je les écris. C'est à partir du moment où ils commencent à vivre, toujours dans ma tête, que je les dessine, je les jette, je les force à vivre avec beaucoup d'émotions.

FDI :Comment expliquez-vous que la projection personnelle que vous faites dans vos films soit une jeune fille ?
H.M : Je pourrais vous répondre de manière très longue et très complexe mais je préfère vous répondre que j'aime les femmes.

FDI : On retrouve un environnement fantastique plus ou moins développé selon les films (Le Voyage de Chihiro, Mon Voisin Totoro, Princesse Mononoke) ou offrant une grande documentation. Quel est le déclencheur d'une direction esthétique plutôt qu'une autre ?
H.M : J'ai un stock considérable de matériel et le choix correspond au moment où je vais faire le film. Je voyage avec beaucoup de cadres dans ma tête, celui de Totoro existe depuis treize ans, pareil pour Chihiro. Les mondes que je dessine sont déjà dans ma tête depuis plusieurs années.

FDI : La nostalgie dans vos films est un sentiment très développé. On la retrouve dans Porco Rosso, Mon voisin Totoro, celui-ci également…
H.M : Oui, je pense que la nostalgie a plusieurs apparences, ce n'est pas l'apanage des anciens, les enfants en ont également. C'est un sentiment très partagé par les humains.

FDI : Contrairement à la vision d'un futur très sombre que l'on trouve dans beaucoup de films d'animation, vos films sont optimistes ?
H.M : Je suis pessimiste, cependant quand je fais un film pour les enfants, je ne veux pas leur imposer cette vision. Les adultes ne doivent pas forcer les enfants à voir ce monde.

FDI : Vos films sont uniquement pour les enfants ?
H.M : Pas Porco Rosso, tous les autres étaient principalement destinés aux enfants en effet.

FDI : Pourtant beaucoup d'adultes viennent sans leurs enfants...
H.M : C'est quelque chose qui me fait très plaisir bien sûr. Simplement un film qui est fait de toutes nos forces pour les enfants peut aussi plaire aux adultes, l'inverse n'étant pas vrai. Dans les films pour enfants, il y a toujours la possibilité de recommencer.

FDI : Nous avons la sensation d'une incroyable liberté d'auteur : des rebondissements, des changements de ton au mépris parfois de toute logique…
H.M : La logique concerne la partie superficielle du cerveau. C'est impossible de faire un film en tenant compte de la logique. C'est lorsque je m'en suis aperçu que les portes de l'inconscient se sont ouvertes. C'est au moment où le simple outil de logique est dépassé que l'histoire commence vraiment. Mais c'est très dangereux car des images très lointaines de la vie sociale en sortent. Ce que j'utilise est en dehors de la conscience. Je laisse libre champ aux idées qui me viennent sans logique. Quand Chihiro veut prendre le train toute seule, c'est le sommet du film, la fin. Ce moment ne s'explique pas facilement. Tout le monde se souvient de cette première fois, ce sentiment d'angoisse et de solitude. Si il y avait eu des décors, il n'aurait pas été aussi fort. Je suis certain que personne ne se souvient du paysage. J'avais préparé ce moment sans le savoir car dans la précédente scène il avait plu et donc on ne voyait plus le paysage. Cela est un travail inconscient. Et c'est en travaillant de cette manière que j'ai reconnu la force de l'inconscient par rapport à la logique.

FDI : Vous perpétuez la tradition des conteurs d'histoire, pourquoi est-ce aussi nécéssaire ?
H.M : Je n'ai pas l'impression d'être un conteur mais un dessinateur. Cependant je crois à la force des contes. Ils ont un rôle fondamental dans l'existence. Beaucoup de personnes sont encore motivées grâce à cela.

FDI : Votre film Le voyage de Chihiro a été caractérisé par le terme de " Fantasy "…
H.M : Je vois que l'imaginaire est très important mais que ce terme est un peu galvaudé. La réalité de l'imagination doit être présente. Il faut faire attention à ce terme car il s'applique aux jeux télévisés et aux jeux vidéo. Le monde de l'imaginaire doit apporter quelque chose et ne pas basculer dans l'ère de la réalité virtuelle. C'est un dilemme contre lequel je me bats.

FDI : Comment gérez-vous les moments-clés de vos films ?
H.M : En raison de ma méthode de travail, chaque scène devient une scène centrale. Je les considère toutes importantes. Je résouds les problèmes les uns après les autres. Dans le film, deux scènes sont symboliques. La première est lorsque Chihiro est recroquevillée dans la voiture et l'autre lorsqu'elle est libre et indépendante. Ce n'est pas moi qui fabrique le film, il se fait lui-même.


Journaliste : Chihiro est une héroïne un peu différente, peu motivée et paresseuse, pourquoi ?
H.M : Je n'ai pas choisi. Il y a beaucoup de petites filles comme ça qui sont blasées. Quand j'ai dessiné le story board et que les parents appellent, la fille ne répond toujours pas au bout de la deuxième fois, l'équipe m'a dit que c'était mieux trois fois. J'ai fait Le Voyage de Chihiro car il n'existait pas de film pour les petites filles de dix ans. Elle devait être ordinaire. A chaque fois que je la dessinais, je me posais la question de savoir si mes petites nièces pouvait faire cela. En voyant leur joie j'ai su que je n'avais pas trahi leur attente.

Journaliste : Comme pour Porco Rosso il y a un cochon. Pourquoi ?
H.M : C'est plus facile à dessiner que des chameaux ou des girafes ou un ours blanc. En fait, cela correspond à ce que je voulais dire, les humains se comportent comme eux. J'aime bien les cochons pour leurs qualités et leurs défauts. Finalement nous sommes assez proches.

Journaliste : Que pouvez-vous nous dire sur la séquence du dieu putride, cette créature est-elle inspirée de la mythologie japonaise?
H.M : Elle n'est pas inspirée de la mythologie mais bien de ma propre expérience. Il y a une rivière à côté de chez moi où l'eau semble propre mais au fond on trouve un tas de choses et elle dégage une odeur vraiment immonde.

Journaliste : Pouvez-vous nous parler de vos projets ?
H.M : Il est prévu au studio Ghibli l'ouverture d'une petite salle où je veux présenter des courts-métrages pour ce petit musée.

Journaliste : Pensez-vous que la nostalgie est un sentiment partagé par tout le monde ?
H.M : Le fait de vivre amène à perdre quelque chose, c'est donc un sentiment naturel.

Journaliste : L'impact de vos films change-t-il votre manière de travailler ?
H.M : Non, le cinéma est incertain et nous ne savons jamais si le film plaira ou non. Pour moi, le succès ou l 'échec n'a pas d'importance.

Journaliste : Connaissez-vous certains réalisateurs de films d'animation européens ?
H.M : Nous avons été introduits au cinéma d'animation grâce à Paul Grimault et son film La bergère et le ramoneur. A part cela j'ai vu beaucoup de films mais je ne me souviens pas des noms des réalisateurs. La Reine des Neiges a eu une influence décisive mais je ne me souviens pas non plus du nom du réalisateur.

Questions à Mr Suzuki et Mr Miyazaki : Quels sont les prochains projets du studio Ghibli ?
Mr Suzuki : Un jeune réalisateur est en train de terminer un film qui sortira l'été prochain.
Mr Miyazaki : Superviser ce film est une épreuve très très dure.


 
  
mazinga le Mercredi 29 Octobre 2003 à 12:12 


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