Je dois, chers lecteurs, vous avouer ma gêne en m'attelant à la critique de ce long métrage bien de chez nous, nullement passé inaperçu tout au long de l'année 2003 (forte exposition au Festival de Cannes, nomination aux Oscars 04 entre autres titres de gloire). Car oui, je le dis tout de go,
les Triplettes de Belleville m'a fortement déçu. Et ma gêne est d'autant plus forte que d'ordinaire je suis le premier à défendre farouchement ce genre de production décalée, sortant hors des sentiers battus et proposant une pertinente alternative aux longs métrages US et nippons dont nous sommes annuellement gavés, le meilleur cotoyant très souvent le pire. Or donc, lorsqu'un petit film à l'univers singulièrement rétro, 100 % francophone qui plus est, et réalisé en outre par le prometteur apprenti-cinéaste de
la Vieille dame et les pigeons, parvient à se faufiler dans nos salles obscures pourtant déjà passablement encombrées, l'on se doit de scruter avec le plus vif intérêt ladite production.
Las ! Car même si le parti-pris graphique très fort et l'univers effectivement unique en son genre séduisent dès le premier plan, la première image même, l'on déchante rapidement. Passées les vingt premières minutes où la surprise visuelle cède le pas à une succession d'idées amusantes (le chien Bruno qui aboie après le train qui passe, le physique fuselé du jeune cycliste Champion, la difformité du pied de la vieille Madame Souza compensée par un talon-aiguille...), l'attention se relâche progressivement et l'exercice s'avère vite vain. Lorsque l'on songe aux 5 ans (cinq !) nécessaires à la réalisation de ce long métrage, une seule réaction vient à l'esprit : gaspillage d'énergie. Voire gâchis pur et simple.
D'autant que le parti-pris de ne pas inclure de dialogues (hormis par le truchement de moyens de communication modernes façon
les Temps Modernes de Chaplin) tourne rapidement à l'exercice imposé et ne remporte pas la franche adhésion du spectateur. Dans une même audace narrative
Interstella 5555 réussissait autrement davantage son pari -certes là la musique occupait une place importante conférant un rythme plus soutenu et homogène à l'ensemble du programme.
A l'inverse, là où les exploitants cinéma jugèrent utile de rajouter des dialogues aux courts-métrages muets des sublimes
Contes de l'horloge magique de Starewitch (sortie salles début décembre 03), avec le timbre de Rufus certes agréable mais foncièrement facultatif,
les Triplettes de Belleville se passe d'un outil contemporain usité de façon systématique (parfois à tort si l'on en juge par certaines productions trop bavardes),
souhaitant ainsi créer une osmose entre un parti-pris de mise en scène audacieux et l'époque dans laquelle s'inscrit l'histoire-même du film, le tout créant une mise en abîme ultime. La patte "années 50" se ressent ainsi à tous les niveaux, mais le film de Sylvain Chomet passe rapidement d'une œuvre rétro à un long métrage suranné, soit tout juste une petite curiosité qui quoi qu'il en soit ne méritait pas un tel engouement médiatique.
Film présenté en sélection officielle (hors-compétition) au Festival de Cannes 2003.
Egalement présélectionné pour l'Oscar® du meilleur film d'animation 2004.