Ce DVD propose trois œuvres majeures de Frédéric Back, dont la dernière en date,
le Fleuve aux grandes eaux, réalisée en 1993. Analyse rapide de chaque production...
Tout rien, court-métrage de onze minutes sans paroles, retourne à l'origine de l'Humanité, avec une réappropriation toute personnelle du sujet (les animaux ressemblent déjà à ceux que l'on connaît d'aujourd'hui). Le cinéaste évoque la pureté originelle, où les tous premiers êtres humains étaient fascinés par les merveilles de la nature, et soucieux en général du sort de l'environnement. Avec progressivement une réflexion amusante : l'homme serait finalement l'animal le plus curieux de la Création, assoiffé qu'il est de conquête et de pouvoir, sournois et foncièrement ingrat avec Dieu son géniteur. Soit la parabole ultime de la destruction progressive de la Nature par l'être humain. Toutefois, en optimiste obligé, Back signe une fin en forme d'espoir, qui tendrait à prouver qu'une prise de conscience tardive parviendrait tout de même à réconcilier les deux partis. A noter l'incroyable réalisme porté au graphisme des animaux, et la fluidité dans l'animation proche de
l'Homme qui plantait des arbres...
Postérieur de trois ans,
Crac !, également sans paroles, passe au stade supérieur en atteignant une sorte de perfection à tous les niveaux : perfection graphique (on croirait un tableau en mouvement), perfection narrative (histoire simple mais à dimension universelle), perfection sonore (la comptine
Il pleut bergère délicieuse). Ou quand l'épure devient art absolu. Ce court finit d'ailleurs sur une mise en abyme avec ce musée d'art où la chaise à bascule devient elle-même l'objet de toutes les attentions. Et encore une fois, Frédéric Back ne se prive pas au passage pour égratigner l'attitude de l'homme avec l'industrialisation galopante et destructrice.
Enfin, terminons avec l'apothéose du
Fleuve aux grandes eaux, qui réunit toutes les qualités du court que l'on vient d'évoquer, avec une envergure encore plus impressionnante. Nous touchons là carrément au sublime, au grandiose. Ce moyen métrage, tout à la fois déclaration d'amour et hommage vibrant à un géant tranquille, s'intéresse à l'histoire de Magtogoek dit 'le fleuve aux grandes eaux', et par là-même à celle de tous les fleuves du monde, qui synthétisent à eux seuls les différents stades de la vie : la naissance, l'accomplissement, la disparition. Une mort en l'occurrence initiée par les coups inconscients et inconsidérés de l'homme (quand on vous dit que c'est une thématique récurrente !).
Bénéficiant d'une musique en tous points magnifique,
le Fleuve aux grandes eaux est en outre dialogué, le timbre de la voix off étant toute aussi agréable que celle de Philippe Noiret dans
l'Homme qui plantait des arbres. D'ailleurs, le moyen métrage qui nous intéresse ici partage plus d'un point commun avec ce dernier : même maîtrise de la technique du crayon de couleur sur acétate dépoli, mêmes peintures impressionnistes... Avec toutefois un cachet plus sombre et pessimiste, fonctionnant un peu à l'inverse du moyen métrage de 1987 : ici le récit s'ouvre sur une ambiance bucolique et enjouée (avec cette réplique-forte : "
le fleuve est un torrent de vie") pour se terminer sur un constat amer et désenchanté. Ainsi que l'explique lui-même le réalisateur, "
le fleuve a besoin de beaucoup d'aide pour redevenir sain, pourvoyeur de vie, pas seulement pour les poissons et les mammifères, mais également pour les humains". En résumé cette œuvre, point d'orgue d'une filmographie extrêmement cohérente, est tout autant habitée par l'amour et l'admiration envers une Nature à la beauté indescriptible, que par l'indignation et la colère face à la conduite irresponsable des hommes dans leur course au profit... Un film très fort et techniquement parfait qui, plus qu'une simple fable sur l'histoire d'un fleuve majestueux à travers les siècles, se veut avant tout un cri déchirant en direction des spectateurs de tous âges, afin qu'une vraie mobilisation s'engage. Dix ans après sa production, il est encore temps de réagir... et d'agir.
Crac ! a été récompensé de l'Oscar® du meilleur court-métrage d'animation en 1982.
Le Fleuve aux grandes eaux a été récompensé du Grand Prix au Festival d'Annecy en 1993.