L'occasion de chroniquer le coffret Betty Boop était trop belle pour ne pas revenir sur l'étonnante carrière des frères Fleischer, toujours en avance d'une innovation sur Disney.

Originaires d'Autriche, les Fleischer s'installent à New York en 1887. Max, qui sera la tête pensante des studios Fleischer, rentre dans le monde de l'animation lorsqu'il invente le rotoscope. Avec l'aide de son frère Joe à la fabrication et de Dave dans le rôle du clown, ils réalisent en 1915 Experiment N°1, un film d'une minute. Attendant dans les bureaux de la Paramount pour présenter son film, Max rencontre J.R. Bray, qui possède déjà un contrat avec le studio et propose à Max de l'engager. Mais la guerre éclate et Max réalise des films d'entraînement pour l'armée. La guerre terminée, il rejoint Bray et la série Hors de l'encrier (Out of the Inkwell) peut alors commencer.
Suite au succès de la série, Max s'associe à son frère Dave en 1921 et crée la "Out of the Inkwell Films, Inc.". En 1924, grâce au procédé du Dr Lee Forrest, ils produisent les premiers films sonores, bien avant le Steamboat Willie de Disney ! Cette même année, ils fondent la "Red Seal Pictures" avec l'aide d'un propriétaire de cinémas new-yorkais. Ils inventent la "bouncing ball" (boule qui ponctue les syllabes des chansons à l'écran, ancêtre du karaoké) et le premier personnage parlant de l'histoire du cinéma. Malgré toutes ces innovations, la société est couverte de dettes et dépose le bilan en 1927. Un nouvel associé reprend l'affaire et se nomme président de la nouvelle compagnie, "Inkwell Imps", dont les films seront distribués par la Paramount. Après de nouveaux déboires, cette société s'arrête aussi et les frères créent alors la compagnie "Fleischer Studios, Inc" dont la Paramount devient le principal actionnaire...

L'apparition du son laisse bon nombre de studios d'animation sur le carreau, mais les frères Fleischer s'y étaient préparés depuis longtemps. Dès 1929 ils créent une série nommée Talkartoons (dessins animés parlants) dans laquelle apparaîtra bien vite Betty Boop.
Un autre tournant sera leur adaptation animée de Popeye. Le personnage plaît immédiatement et devient un véritable héros populaire. Max et Dave Fleischer, qui avaient jusque là prêté assez peu d'attention au scénario de leurs courts-métrages, établissent avec Popeye une structure narrative forte qui se retrouvera dans chaque épisode : Popeye a un objectif, sortir Olive du danger en surmontant de nombreux obstacles, souvent incarnés par Bluto -ils se bagarrent et Popeye avale à la dernière minute sa fameuse boîte d'épinards pour l'emporter. Les Fleischer calculent avec soin le temps que doit durer chaque portion d'action. La formule est tellement efficace qu'elle servira plus tard à tous les grands films de Bugs Bunny, Tom et Jerry et d'une grande partie de la série Looney Tunes de la Warner. La série des Popeye durera près de 10 ans !

Max Fleischer veut aussi concurrencer Disney qui au fil des années est devenu grâce à Mickey le studio d'animation le plus en vogue. Il commence alors une nouvelle série en couleurs : Color Classics, dont le premier film est Pauvre Cendrillon avec Betty Boop en 1934. Mais Max est obligé d'utiliser un procédé en deux couleurs, Disney ayant l'exclusivité du Technicolor. Lorsque Max peut enfin utiliser ce procédé en 1936, il réalise l'un des chefs-d'œuvre de la série : Au pays du rêve (Somewhere in Dreamland).

En 1937 une grève frappe les studios Fleischer, quatre ans avant celle qui atteindra les studios Disney. La grève va durer presque six mois, et obligera Max Fleischer à signer un compromis. Pour éviter que cela ne se reproduise, Max décide de déménager les studios en Floride, une opération qui va s'avérer fort coûteuse, alors même qu'il doit entreprendre la production de son premier long métrage. Car entre-temps, Blanche Neige et les sept nains, sorti en décembre 1937, a remporté un énorme succès commercial. Les Fleischer décident de transposer à l'écran les Voyages de Gulliver.

Il leur faudra faire vite car là où Disney avait disposé de 4 ans et d'un million de dollars, les Fleischer ne disposent que de 18 mois et 500 000 dollars. Le film remporte néanmoins un beau succès, alors même que la Seconde Guerre Mondiale ferme le marché européen. Pourtant la Paramount demande aux Fleischer un second long-métrage, Mr Bug Goes To Town, qui sortira malheureusement en décembre 1941, au moment où l'Amérique subit de plein fouet le traumatisme de Pearl Harbor. Cette fois, le désastre commercial est énorme et sonnera le glas des Studios Fleischer.

De nouvelles séries sont lancées sans grand succès. Au cours de l'année 41, un personnage important, Superman, rejoint l'écurie Fleischer. 19 épisodes sont réalisés, la série étant saluée comme une grande réussite aussi bien au niveau de la réalisation que des scénarios. Mais cela ne suffit pas à sauver les frères Fleischer... Ne pouvant rembourser les 100.000 dollars qu'ils doivent encore à la Paramount, les Fleischer sont renvoyés de leur propre studio qui, renommé "Famous Studios", continue de produire de nombreuses séries dont Popeye. Mais pour les frères Fleischer, la rupture est totale et ils décident de se séparer. Max finira comme il avait commencé au Bray Studios. Quant à Dave, il deviendra responsable du département animation à Columbia Pictures, avant de travailler au département scénario des studios Universal.
Il aura manqué peu de choses aux Studios Fleischer pour concurrencer Disney sur la durée. Mais ce qui est peut-être le plus important chez ces artisans, c'est que leurs films ont influencé de nombreux animateurs à travers le monde (dont Osamu Tezuka), et continuent de réjouir le public des dizaines d'années après leur création. ................................Texte issu du livret inclus dans le coffret.

Icône mondiale du 7ème art, Betty Boop demeure la seule héroïne véritablement rescapée de l'Histoire de l'animation, pouvant se targuer d'avoir plusieurs générations de spectateurs acquis à sa cause. Elle reste également le seul personnage dont nul ne saurait, encore aujourd'hui, ignorer l'existence (éclipsant même d'autres personnages tels que Marge Simpson ou la Jessica de Qui veut la peau de Roger Rabbit... dans lequel Betty Boop se payait précisément le luxe d'une apparition !).
Les trouvailles visuelles et sonores amusantes sont légion dans les courts des frères Fleischer, jouant avec les limites de l'écran tout autant qu'elles défient les lois de la raison, à l'image de ce canard rôti haché de manière tellement systématique que le mobilier sur lequel il est préparé devient partie intégrante de la préparation et finit par se transformer en véritable train à vapeur, permettant au cuisinier malin de prendre la poudre d'escampette face à un client particulièrement mécontent !
Soutien-gorge sexy, guêpière et petites fesses rebondies, Betty apparaît surtout incroyablement (dé)culottée pour l'époque de production, les tous premiers courts datant de 1930, soit avant la mise en place du code Hays (ce n'est en aucun cas vulgaire, mais la notion d'érotisme n'est jamais loin). Bandits de grand chemin, sales gosses et escrocs notoires, Betty évolue dans un univers peu reluisant peuplé de trognes patibulaires, ce qui la rend d'autant plus attachante, son physique de femme-enfant perdu dans un monde de brutes tranchant avec un caractère assurément bien trempé. Vamp sur scène (elle minaude et ponctue chaque apparition du fameux Boop-boop-a-doop), nature le reste du temps (on la voit volontiers, chez elle, se couper les ongles de pieds), la délicieuse Betty n'est pas à un paradoxe près : croqueuse d'hommes impénitente, elle n'en reste pas moins fidèle à l'adorable Pudgy. Betty apparaît humaine, tout simplement. Période noir et blanc ou période couleurs, l'héroïne reste scandaleusement jolie et joliment scandaleuse.